* Le lit 1 est mort.
+ Ah bon ? Comment ça se fait ? Il était bien hier.
* On ne sait pas vraiment, apparemment il a saigné, on a appelé le médecin de garde vers 2h du matin, mais elle n’est pas venue. Il est décédé vers 4h.
+ Elle n’est pas venue ?!!!...
Le lit 1 est mort. -Depuis quand le lit a une vie pour qu’il décède ?-
Dans les hôpitaux, les prénoms n’existent pas. On se débrouille toujours pour trouver un surnom aux malades, et on entend souvent des répliques genre, « le Rectum va mieux ? » - pour parler généralement d’un malade qui a un cancer du Rectum- ou «
Et ce jour là, on m’informa que le lit 1 est mort. Un patient de 68 ans, avec des antécédents lourds, il traîne déjà un diabète depuis 10 ans, une insuffisance rénale et nous a été envoyé avec un papier où y était mentionné : patient récupéré après arrêt cardiaque. Hospitalisé au service où j’étais pour suspicion d’une maladie vasculaire avec manifestations dermatologiques…Comme on dit encore, un beau dossier ! Pourquoi pas un article.
Malgré tout, ce malade se portait très bien, il n’arrêtait pas de râler, il était exigent, il mangeait bien…
Tous les matins, son gendre venait avec le petit déj’ fait maison, et le lit 1 attendait avec impatience que le sang soit prélevé pour qu’il puisse enfin manger goulûment son menu.
Les investigations étaient en cours…le bilan était lancé…mais le lit 1 avait besoin d’une haute surveillance, déjà qu’il était un terrain à risque…
L’hémorragie ne tarda pas. Un vaisseau a éclaté. Mais il a choisi le mauvais moment !!! Comme quoi, il ne fallait pas attendre 2 heures du matin pour éclater, personne n’était là !
A 2 heures l’infirmier de garde appelle le médecin de garde, elle ne peut pas se déplacer, sa fille est malade !!!!!!! Le malade se vide de son sang et décède deux heures après.
Le lendemain le gendre s’amène comme tous les matins avec le petit déj. Il a dû croiser le médecin qui était censée être là la veille à 2h du matin, il a dû lui sourire, lui dire bonjour. Elle a dû lui sourire, ou peut être elle l’a ignoré…
Il arrive à la salle, le lit 1 n’est plus. Un autre malade a pris sa place. Et le nouveau lit 1, est devenu Le lit 1.
Aux oubliettes, ou plutôt à la morgue. Le gendre pleure tristement son beau père, el mektab, hadak hed 3emrou, allah yerehmou ou wesse3 3lih…
La vie continue…le médecin de garde sillonne encore les couloirs d’Avicenne, ne pensant même plus à ce malade qu’elle aurait pu, NON, qu’elle devait sauver, ou du moins assister !! Le lit 1 aurait pu être son père, son beau père, son oncle, son voisin…mais non, ce n’était que le lit 1. Il est mort. Sa vie à elle continue, sa conscience est tranquille, elle sera bientôt spécialiste, elle aura encore des malades, euh…je veux dire, des lits à soigner…
C’est encore une histoire, douloureuse, incroyable mais vraie.
Le lit 1 est mort. Allah yerehmou.